Histoire de l'art singulier, par Michèle Guérin

Publié le par rodia bayginot

 

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L’histoire de l’art brut commence dans les asiles de la fin du XIXème siècle, tandis que se poursuit l’aventure impressionniste. Si en France ce sont les médecins qui se sont adressés à l’art asilaire, en Allemagne, les artistes : Max Ernst, Kandinsky, Kokoschka, Nolde se passionneront pour l’art des fous. L’apparition en 1922 par le docteur Prinzhorn, historien de l’art et psychiatre de « Bildnerei des Geiseskranken( l’activité plastique des malades mentaux) sera un événement. En regroupant plus de 5000 œuvres de plus de 400 auteurs venant de toute l’Europe, Prinzhorn recherche l’art dans la production des malades et tente de comprendre à la source les mécanismes universels de la création. Ce livre circulera dans toute l’Europe, porté par des écrivains, de Max Ernst, dadaïste de Cologne à Eluard et André Breton. Seul Freud à Vienne restera insensible. En 1937, à Munich, la terrible exposition « Entartete « Kunst » (Art dégénéré) où sont stigmatisés les maîtres de l’art moderne et certains favoris de Prinzhorn brise net la pensée allemande.

 

En France, les premières décennies du XXème siècle voient apparaître des créateurs marginaux improprement qualifiés de naïfs, alors que l’art naïf, descriptif, est codifié. On pense ainsi à Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, découverte par le collectionneur allemand Wilhem Uhde, l’un des premiers acheteurs de Picasso, dont l’art bouscule les règles du jeu, à ceux qui rejoignaient les préoccupations surréalistes, à savoir les arts dits médiumniques comme le mineur Augustin Lesage, ou des autodidactes inspirés dont le Facteur Cheval et son Palais Idéal. Dubuffet, par ses textes et sa collection allait unifier ces formes d’art non conventionnel.

 

En effet, faudra attendre 1945 pour voir arriver le terme d’ « art brut » utilisé pour la première fois par le peintre Jean Dubuffet. Il désigne ainsi la forme d’art obscure, inconsciente d’elle même qu’il est allé chercher dans les hôpitaux psychiatriques et découvrira ensuite dans les travaux de certains marginaux visionnaires.. L’art brut de décomposait en :

-l’art asilaire,

-l’art médiumnique

et l’art de certains marginaux inspirés

 

Selon Dubuffet, tous les malades mentaux ne font pas un travail égal. L’art brut ne peut être réservé à l’art asilaire, mais à toute forme de création sauvage qui s’oppose à l’ « art culturel », à l’art académique. Par la suite, Dubuffet reconnaîtra que le déconditionnement ne pouvant être total, il ne peut exister d’art brut complètement pur.

 

 

C’est en 1978 qu’arrive enfin la reconnaissance des auteurs échappant aux institutions artistiques et à leurs dogmes : lors de l’exposition «  Les Singuliers de l’Art » présentée au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

 

Les artistes singuliers, ces marginaux de l’art, souvent autodidactes ou possédant peu de formation artistique  sont alors des gens modestes, cachés qui peignent, sculptent, modifient leur environnement sans contraintes, libérés de toutes entraves culturelles et marchandes. Cet art populaire, cet art hors les normes, dont les mouvances sont multiples, invente sans cesse de nouvelles formes d’expression. Chaque individu porte son histoire, le créateur singulier l’inscrit dans sa légende sans se préoccuper si l’œuvre produite va être vue, reconnue, puisqu’il crée d’abord, et souvent uniquement, pour lui-même, sans pouvoir faire autrement, devenant « …en passant un jour à l’acte, acteur de sa propre destinée »(Frédéric Allamel)

 

 

Depuis 1978, le monde des singuliers a évolué. On n’est plus dans l’art des fous de Dubuffet.

Nous sommes loin des marginaux de l’art, du Facteur Cheval.

 

L’artiste singulier n’est plus complètement autodidacte, agissant dans la création sauvage. Comment se détacher des médias, de la communication, des influences ? L’artiste singulier désormais n ‘est plus seulement autodidactes, mais certains ont «  fait les Beaux-arts » puis se sont s’éloignés de plus en plus des formes académiques pour retrouver leur vérité et s’engager dans leur propre voie.

 

 

Le travail des artistes singuliers peut s’apparenter à l’art populaire en reprenant les mêmes codes, notamment la profusion, l’accumulation, l’espace complètement empli, rejoignant la peur du vide existant chez les créateurs marginaux.

 

Jean-Claude Caire, critique d’art, avait proposé une classification concernant les artistes singuliers :

Le racineux (inspiré par les troncs d’arbres pour créer un bestiaire rustique),

le tronçonneux (hache, taille, meurtrit le bois),

le bétonneux (construit autour de sa maison un monde étrange et envahissant), , l’environnementaliste (bâtit palais, cathédrales, son propre tombeau à partir d’objets récupérés),

l’accumulateur (sauve de l’oubli en de savants montages les objets usés, rejetés),

le handicapé mental (nous interroge à travers son dessin sur la façon dont notre cerveau mémorise et traduit les images),

le viscéral (exhibe son corps tout au long de son œuvre),

le surréalisant (emprunte aux classiques de l’Art brut, aux divagations de peintres ubuesques, aux civilisations primitives),

l’écrituriste ( désarticule le dit et l’écrit, s’ouvrant sur d’autres univers),

le médiumnique (rend perceptible à tous les continuelles errances de l’homme entre le macrocosme et le microcosme)

 

Pour ma part je rajouterai : l’obsessionnel. Une longue fréquentation de ces marginaux de l’art m’invite à penser qu’il n’existe pas un artiste singulier qui ne soit obsessionnel.

 

L’accumulation d’œuvres uniques devient une installation. La frontière devient indistincte entre l’art singulier et l’art contemporain.

 


M. Guérin

 

 

 

 

 

 

 

 

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