Textes de Antoine RONCHIN

 

Les bipèdes du Comédia – Saison I

Le réseau artistique de Rodia et Philippe

 

 

 

 

Déjà deux ans que Rodia Bayginot et Philippe Ordioni invitent les habitants et les visiteurs du Pays d’Aubagne et de l’Étoile à entrer dans leur ronde. Un travail d’entomologiste où les 1.200 épinglés continuent de voler de leurs propres ailes. Heureux d’avoir pu contribuer le temps d’un cliché à un projet artistique au long cours.

 

Cette fois-ci, le Théâtre Comoedia sert d’écrin : les artistes de la saison 2009-2010 et les équipes qui les accompagnent sont les sujets. Les uns et les autres, connus et moins connus, sont pris à show après leurs spectacles, pas le temps de se démaquiller ou de s’apprêter pour l’occasion. Ni réduits à leur quotidienneté, ni mis en scène, ils dévoilent une intimité toujours difficile à saisir.

Qui est au premier plan ? Le regard du photographe ? Le tableau ? Le comédien ? C’est encore au spectateur de réaliser sa synthèse en fonction de ses priorités. Un autre jour, une autre humeur, une autre lumière et le tableau revient au premier plan, la photographie se fait discrète et le porteur un passeur. Et inversement. Les combinaisons sont nombreuses.

 

« On doit être une œuvre d’art ou porter une œuvre d’art » philosophait Oscar Wilde. Certains font les deux. L’art est le premier et le plus ancien réseau social. Et toujours celui où l’on peut se révéler en préservant sa vie privée. Toute la technologie tient dans notre capacité à ouvrir les yeux et la curiosité reste la meilleure des applications. L’art veut être votre ami, acceptez-vous ?

 

Antoine RONCHIN, juin 2010

 

 

 


La peinture vibrante de Rodia Bayginot


 

 


 

Ce qui grouille en nous a-t-il un nom ? Peut-être pas.
Rodia Bayginot lui donne des formes.

 

On peut y voir membres et membranes, pattes, sourires, visages, insectes, végétaux… Un vocabulaire commun qui trouve sa place dans une grammaire singulière. Un cercle, un carré pour cerner ce qui se tord et nous tord sans jamais se rendre : une envie d’exister, de s’éprouver, de faire.

« Ma première tache de couleurs sur un drap était plus puissante que ce que je croyais être. J’ai eu envie de continuer. » Disons, ensuite, qu’elle a plutôt eu la force de s’approcher. De miroir, la peinture s’est faite microscope. Voilà ce qui nous habite et nous obsède. Un peuple de signes et de particules que seuls le geste et la couleur peuvent rendre compte.

De ce qui nous pousse et nous retient, Rodia les transforme en creux et en bosses. Ne cherchez pas le centre du tableau, il a été mangé par la marge. Ne comptez pas non plus trouver la dernière pièce du puzzle, juste la prochaine. Le tableau suit son cours, couche après couche. De la sculpture à rebours, de la peinture qui avance. Apaisée ? La folie continue de guetter, le trait explose mais pourquoi ne pas trouver un peu de sérénité dans ces herbiers cosmiques, ces hiéroglyphes joueurs, ces farfadets espiègles ? A vous de voir.

 

 

Née en 1960 dans le quartier marseillais de la Belle de Mai, Rodia Bayginot est fille d’une mère au foyer et d’un père ouvrier. Elle tombe tardivement dans la peinture. Jalouse des dessins de ses enfants, elle se lance à 30 ans. Des études d’histoire, puis d’histoire de l’art, des premiers tableaux puis une première exposition parce que le peintre pressenti n’avait pas assez de toiles… Le hasard. Et la nécessité, celle de partager, de donner : à l’image de ses « bipèdes sympathiques » qui offrent à chacun la chance, l’espace d’une photo de son mari Philippe, d’avoir un tableau entre ses mains.

 




Antoine RONCHIN, avril 2009






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Manifeste pour les « bipèdes »

 

 Devenez bipède pour faire marcher l’art autrement

 

Comment se porte l’art ? De mille et une façons ! C’est le pari de Rodia Bayginot, plasticienne et enseignante (on pourrait dire enseignante-chercheuse comme ses collègues d’autres matières). Le principe est élémentaire : se faire prendre en photo avec une de ses œuvres. Le geste pour répondre à cette invitation est plus délicat qu’il n’y paraît. Qui est-ce qui est pris exactement en photo ? L’œuvre avec en arrière plan son centaure, mi homme- mi chevalet ? Ou bien l’individu justement, détourné de son réflexe narcissique par la présence jamais anodine du tableau ? Il faut jouer le jeu. On ne peut pas entrer dans le tableau, mais on peut toujours inviter les autres à le faire. Il importe juste de ne pas casser la chaine, c’est-à-dire, peut-être, l’illusion. Le regardeur devient regardé. Certains l’exposent en sautoir, humbles ou fiers ; les uns semblent l’offrir comme le témoin d’un relai sans ligne d’arrivée ; d’autres l’enfilent à la manière d’un habit de gala ou aimeraient bien pouvoir se masquer derrière. Impossible l’être est plus grand que le cadre. Chacun fait à sa façon et c’est fou comme il y en a. Si le tableau est le résultat du travail extrêmement solitaire de l’artiste, son exposition devient œuvre collective. Un tableau, une photo, vous, moi, l’autre, faites passer l’art, donner-lui au passage un peu de vous-même, il le vous rendra bien.


Antoine RONCHIN, février 2009  

Photo Philippe ORDIONI




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Journaliste et sociologue, Antoine Ronchin collabore à plusieurs revues.

Il a dirigé les Ateliers Thérèse Neveu d’Aubagne

 


 

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